PARIS —
Accusé de favoriser les bénéfices sur la vie des patients, le laboratoire pharmaceutique français Servier Laboratories fait face à des millions d’euros d’amendes et de dommages-intérêts potentiels après un énorme procès impliquant 6500 plaignants qui affirment que la société a autorisé un médicament contre le diabète à être prescrit largement et de manière irresponsable comme pilule amaigrissante – avec des conséquences mortelles.
Le médicament populaire, appelé Mediator, est devenu l’un des plus grands scandales de santé modernes en France, et le procès se termine lundi après plus de six mois de procédures visant à la fois Servier et le chien de garde des médicaments en France. Servier dit qu’il ne connaissait pas les risques du médicament.
L’essai a été interrompu par une autre crise sanitaire: le coronavirus, qui a suscité un nouvel examen des autorités sanitaires et des médicaments précipités comme traitements ou vaccins.
Au cours des 33 années d’existence du Mediator, il a été soupçonné de 1000 à 2000 décès parmi des millions de personnes qui l’ont pris comme coupe-faim, selon une étude de 2010. Les médecins l’ont lié à des problèmes cardiaques et pulmonaires.
Un médecin a fait part de ses préoccupations dès 1998 et a déclaré qu’il avait été intimidé pour les retirer. Face aux questions sur les effets secondaires du médicament des autorités médicales en Suisse, en Espagne et en Italie, Servier l’a retiré de ces marchés entre 1997 et 2004.
Mais il a fallu une enquête indépendante par un autre médecin français inquiet avant que la société ne suspende ses ventes sur son principal marché en France en 2009. Elle n’a pas été vendue aux États-Unis.
« Il y a des hommes et des femmes qui mettent un poison mortel sur le marché », a déclaré à la cour la dénonciatrice, le Dr Irene Frachon. Elle a publié un livre détaillant ses découvertes et ses efforts ont été présentés dans un film de 2016, «La fille de Brest».
Servier est accusé d’homicide involontaire coupable, de blessure involontaire, de fraude, de trafic d’influence et d’autres charges. Les magistrats enquêteurs ont conclu que Servier avait dissimulé pendant des décennies les effets du médiateur sur les patients. L’agence nationale des médicaments est soupçonnée de complicité pour masquer ses dangers.
Les avocats de Servier ont fait valoir que l’entreprise n’était pas au courant des risques associés à Mediator avant 2009 et ont déclaré que l’entreprise n’avait jamais prétendu qu’il s’agissait d’une pilule amaigrissante. Ils ont plaidé pour l’acquittement.
Les procureurs ont demandé la semaine dernière près de 15 millions d’euros (environ 16,9 millions de dollars) d’amendes à Servier, ainsi qu’une peine de trois ans de prison et une amende de 278 000 euros pour le seul dirigeant survivant de Servier accusé d’implication, le Dr Jean-Philippe Seta.
De plus, les 6 500 plaignants réclament au total 1 milliard d’euros de dommages et intérêts.
Lisa Boussinot, dont la mère est décédée après avoir pris Mediator, en veut plus – elle veut que les laboratoires de l’entreprise soient fermés. Elle a dit qu’elle voulait un signal fort «qui montre que notre système de justice nous protège» des entreprises puissantes qui ne supportent pas la critique.
La procureure Anne Le Guilcher a demandé une amende de 200 000 euros contre l’agence française des médicaments, l’accusant de ne pas avoir pris les mesures adéquates pour protéger les patients et d’être trop proche de Servier.
L’agence, depuis réformée et renommée, est accusée d’homicide involontaire coupable par négligence et d’avoir causé des dommages involontaires. Les avocats de l’agence ont déclaré qu’il reconnaissait une certaine responsabilité, mais que Servier a induit les autorités médicales en erreur.
Également en procès, 12 représentants du géant pharmaceutique et de l’agence des médicaments.
« La sécurité des patients n’était pas au cœur de la politique de Servier », a déclaré le procureur à la cour la semaine dernière, affirmant que le médicament aurait dû être retiré dans les années 1990. «L’entreprise n’était intéressée que par l’argent.»
Frachon, un pneumologue de l’ouest de la ville de Brest, a été le témoin central de ce procès approfondi qui a enquêté sur les effets du médiateur après avoir traité un patient obèse en 2007, décédé plus tard.
«Ce que j’ai fait n’était pas une prouesse scientifique, c’était juste un essai clinique. Comme je n’avais pas les bonnes informations de Servier, je me suis transformé en enquêteur », a expliqué Frachon. Elle soutient que Servier connaissait des problèmes avec le médicament depuis 1993.
Après avoir pris la parole, elle a dit: «L’un des experts de l’agence pharmaceutique m’a dit que vous allez payer pour cela. Il voulait me punir … La pression de Servier était omniprésente. Je deviens persona non-grata dans de nombreux événements scientifiques. »
Elle n’a pas été la première à poser des questions sur Mediator.
En 1998, le Dr Georges Chiche, cardiologue à Marseille, a reçu un collègue en surpoids souffrant de problèmes cardiaques qui s’était prescrit Médiateur pour la perte de poids.
Chiche a déposé un rapport exprimant ses préoccupations et a témoigné que deux personnes de Servier l’ont poussé à le retirer. Ensuite, Chiche a déclaré à la cour, un ancien professeur lui a dit la même chose, qualifiant son rapport de «stupide» de mauvaise qualité.
« Après cela, je n’ai plus présenté de rapport », a-t-il déclaré.
Il apprit plus tard que son ancien professeur avait organisé des festivals de jazz payés par Servier.
Le PDG et fondateur de l’entreprise, Jacques Servier, a été inculpé au début de la procédure judiciaire mais est décédé en 2014.
Le procès exceptionnel s’est déroulé dans cinq salles du palais de justice de Paris, reliées par liaison vidéo, et près de 400 avocats ont traité l’affaire.
Il faudra plusieurs mois pour parvenir à un verdict, attendu au début de l’année prochaine.
Basée en banlieue parisienne, Servier emploie 22 000 personnes dans le monde et a généré 4,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires l’an dernier.